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Jean-Paul Fourmentraux, Artistes de Laboratoire. Recherche et création à l’ère numérique

Mathieu Noury
Artistes de laboratoire
Jean-Paul Fourmentraux, Artistes de laboratoire. Recherche et création à l'ère numérique, Paris, Hermann, 2011, 126 p., ISBN : 9782705681852.
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Texte intégral

  • 1  Noury, M., L’art à l’ère des biotechnologies. La question du vivant dans l’art transgénique d’Edua (...)

1La pratique artistique a toujours entretenu une relation étroite avec la technique. Élément nécessaire à la création, elle n’a en revanche que rarement dépassé le statut d’outil et encore moins souvent consisté en la finalité même de l’acte créateur. L’objet technique et l’objet artistique ont consciencieusement été tenus à l’égard l’un de l’autre, et cela, malgré la fascination de certains courants, comme le Constructivisme ou le Futurisme, envers le monde industriel. Cependant, depuis plusieurs années maintenant, les technologies numériques ont renversé ce statut de subalterne et élevé la technique au rang d’œuvre d’art, bousculant les frontières de l’activité artistique. Alors que certains artistes jouent aux apprentis sorciers avec les biotechnologies1, les artistes du numérique adoptent quant à eux de plus en plus la posture de l’ingénieur, redéfinissant tant la manière de faire œuvre que la finalité et le statut de l’œuvre d’art.

  • 2  Fourmentraux, J.-P., Artistes de Laboratoire. Recherche et création à l’ère numérique, Hermann Édi (...)

2Du point de vue de la sociologie de la culture, cette remise en question des frontières entre art et science, entre art et ingénierie soulève nombre de questions quant à la nature particulière de l’activité artistique dans le champ de la création numérique. Dans son livre Artistes de Laboratoire. Recherche et création à l’ère numérique, Jean-Paul Fourmentraux tente d’analyser les causes et les conséquences de ce rapprochement entre activité de création artistique et innovation technologique. Pour être plus précis, le sociologue nous invite à analyser « la manière dont la création artistique et la recherche technologique, qui constituaient autrefois des domaines nettement séparés et quasiment imperméables, sont aujourd’hui à ce point intriquées que toute innovation au sein de l’un intéresse (et infléchit) le développement de l’autre »2. De cette intrication résultent des « œuvres hybrides » fusionnant logique d’innovation technologique et artistique, dont la nouveauté demande d’interroger les dynamiques sociologiques et les critères sociaux de valorisation de telles formes de création.

3J.-P. Fourmentraux propose ainsi d’interroger non seulement les conditions de possibilités sociologiques de l’articulation et de l’interaction entre recherche et création, mais aussi les modalités de valorisation de ces œuvres numériques. En effet, en portant son attention sur les conditions sociales et collectives, sur les acteurs et les institutions impliqués dans le procès de création et de valorisation de ces œuvres hybrides, J.-P. Fourmentraux soutient que l’une des conséquences majeures de cette dynamique générale n’est pas uniquement la modification des modalités de l’activité de création, mais aussi la redéfinition concomitante de la mise en marché et de la finalité du rendu de cette activité, c’est-à-dire à la fois des modes d’exposition et de la qualité recherchée et de l’objectif attendu de l’œuvre produite, laquelle est prise dans une logique tentant de fusionner recherche esthétique et utilité technologique et industrielle.

4En ce sens, l’hypothèse centrale développée par J.-P. Fourmentraux est que cette nouvelle logique de la création numérique changerait profondément l’échelle et la nature du travail artistique. Fondée sur la mobilité des frontières, le « régime numérique » propose un contexte de « recherche création » en art et en technologie qui incite au travail collaboratif et interdisciplinaire entre artistes et scientifiques où les compétences fusionnent et la ligne de démarcation entre l’œuvre d’art, l’invention technologique et l’innovation commerciale s’effrite.

  • 3  Sur le concept de « technoscience », voir : Bensaude-Vincent, B., Les vertiges de la technoscience(...)
  • 4  Fourmentraux, J.-P., Artistes de Laboratoire. Recherche et création à l’ère numérique, op.cit., p. (...)

5Ce nouveau régime de création numérique, que l’on pourrait aisément caractériser de régime technoscientifique3 de l’art, trouve, pour J.-P. Fourmentraux, l’une de ses sources d’impulsion principales dans le renouvellement récent des politiques d’action culturelle et la mise en place, parallèle, de nouveaux dispositifs de soutien à l’innovation artistique qui visent à voir se développer un tel régime, prenant littéralement la forme de nouvel idéal politique de la création. En analysant dans le premier chapitre le dispositif d’aide à la création multimédia du Ministère français de la culture (DICRéAM) ainsi que le Réseau innovation audiovisuel multimédia (RIAM), J.-P. Fourmentraux nous montre comment de tels dispositifs permettent la mise en place « d’une nouvelle politique de convergence de domaines jusque-là distingués par les instances décisionnaires d’homologation et de valorisation des arts »4. Agissant comme dispositifs de mise en place d’un contexte de convergence entre création artistique et innovation technologique, ces initiatives renouvellent l’appui politique à la culture en finançant stratégiquement certaines formes de création numérique accès sur le partenariat art recherche dans l’optique de voir en émerger une application industrielle ou commercialisable.

  • 5  Ibidem.

6Encouragé par les institutions culturelles et certains acteurs économiques, ce nouveau modèle de la convergence s’accompagne de la création de nouvelles structures explicitement dédiées au rapprochement entre art, science et technologie. Dans le second chapitre, J.-P. Fourmentraux analyse le cas typique du consortium québécois HEXAGRAM (Institut de recherche et création en art et technologies médiatiques de Montréal). Ce cas, nous dit-il, « éclaire ces exigences de réforme des anciennes institutions de création et d’enseignement artistique au profit de modèles hybrides de production-recherche-pédagogie »5. Concentrant à la fois la création artistique, la recherche universitaire et l’innovation technologique, HEXAGRAM éclaire la nature hydride du réseau artistique et technico-économique qui forme le milieu de travail de l’artiste et la nouvelle manière de faire œuvre propre à l’ère numérique. Dans ce cas précis, le produit de la création est le résultat d’une nouvelle forme d’organisation du travail artistique fondée sur la nécessité du « travail en équipes interdisciplinaires » et l’impératif d’un « programme de recherche transversal » orientant explicitement le processus créatif vers la recherche de finalités à la fois artistiques et utilitaires. Par conséquent :

  • 6  Ibidem, p. 53.

7« Tout en restant au service de la production d’une œuvre, la recherche artistique doit donc viser également une utilité sociale, une application commerciale ou une valorisation industrielle, et donner lieu à la production d’externalités de recherche indépendantes de l’œuvre, telles que des connaissances scientifiques, des procédés technologiques, des méthodes, des inventions, des outils, des brevets, etc. […] [L] es artistes orientent leur activité au moins autant vers la recherche de procédés et de solutions techniques que vers la production d’une œuvre d’art proprement dite »6.

  • 7  Ibidem, p. 17.

8Les chapitres III et IV prennent comme cas d’analyse deux créations typiques de ce que J.-P. Fourmentraux appelle, en référence au concept d’« objets frontières » de Dominique Vinck, des « œuvres frontières » : Le Jardin des Hasards, une installation numérique interactive, et Schlag ! Un spectacle où se croisent personnages virtuels et réels. Permettant d’aborder de front les enjeux résultant de la manière de faire œuvre propre à l’art numérique, ces deux cas idéaux révèlent une « mutation du travail artistique », une « redéfinition des modes de production et de circulation des œuvres » ainsi qu’un renouvellement des « outils » et des « stratégies de mise en public » ou de « mise en exposition ». Autrement dit, ces deux créations font émerger « une transformation des modes d’attribution et de valorisation de nouvelles formes d’œuvres partagés entre art et science »7.

9Ainsi, en s’appuyant sur une étude empirique transversale explorant à la fois les nouvelles modalités de financement institutionnel, les nouveaux lieux de travail et les méthodes renouvelées de la création numérique, Artiste de Laboratoire permet d’appréhender le changement d’échelle et de nature du travail artistique dans sa forme la plus contemporaine qu’est la création numérique. Avec l’émergence de la « recherche création » nous serions confrontés à une profonde mutation du métier d’artiste et de la finalité de la création artistique dans un contexte de « convergence » où se croisent et interagissent non seulement les acteurs culturels et académiques, mais aussi politiques et économiques.

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Notes

1  Noury, M., L’art à l’ère des biotechnologies. La question du vivant dans l’art transgénique d’Eduardo Kac, Éditions Le Manuscrit, Paris, 2007.

2  Fourmentraux, J.-P., Artistes de Laboratoire. Recherche et création à l’ère numérique, Hermann Éditeurs, Paris, 2011, p. 15.

3  Sur le concept de « technoscience », voir : Bensaude-Vincent, B., Les vertiges de la technoscience, La Découverte, Paris, 2009.

4  Fourmentraux, J.-P., Artistes de Laboratoire. Recherche et création à l’ère numérique, op.cit., p. 16.

5  Ibidem.

6  Ibidem, p. 53.

7  Ibidem, p. 17.

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Pour citer cet article

Référence électronique

Mathieu Noury, « Jean-Paul Fourmentraux, Artistes de Laboratoire. Recherche et création à l’ère numérique », Lectures [En ligne], Les comptes rendus, mis en ligne le 08 février 2012, consulté le 29 mars 2024. URL : http://journals.openedition.org/lectures/7473 ; DOI : https://doi.org/10.4000/lectures.7473

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