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CEMTI - Université Paris 8

Le Centre d’Études sur les Médias, les Technologies et l’Internationalisation (CEMTI – EA 3388) a été fondé en 2001 par Armand Mattelart. Unité de recherche rattachée à l’École doctorale Sciences sociales (ED 401) de l’université de Paris 8 Vincennes à Saint-Denis, ses activités s’appuient sur un commun dénominateur épistémologique. Il s’agit là d’un « logiciel » partagé par tous et dont les trois principales caractéristiques sont les suivantes :

1) une inscription dans les sciences sociales :

le CEMTI revendique son attachement aux sciences sociales qui apparaissent comme le domaine académique pertinent pour penser les théories sociales de la communication. Les activités scientifiques du CEMTI mobilisent une épistémè dont le principe est à même de décrire, d’analyser, de comprendre et d’évaluer les faits sociaux de communication, i.e. de rendre compte des pratiques des sujets sociaux en tant qu’ils sont membres de divers collectifs et qu’ils participent de dynamiques communicationnelles variées mobilisant médias, TIC, idéologies et industries culturelles. Le CEMTI considère que les faits sociaux de communication sont toujours en rapport avec des fins sociales qui relèvent de rapports de force, de formes de domination, de rapports de sens et de rapports pratiques, et que l’individu et le collectif sont intégrés à un même système de relations mettant en lien des structures mentales et comportementales et des structures sociales. Le CEMTI privilégie des approches attentives à la genèse sociale des schèmes de perception, de pensée et d’action des personnes et aux structures sociales (notamment médiatiques) qui en cadrent la portée. Les membres du CEMTI partagent ainsi une approche qui pose que les réalités sociales doivent être comprises à la fois dans leurs genèses et dans leurs structures. Ils s’appuient sur une épistémè relevant d’une pensée structuralo-génétique qui considère que les faits sociaux sont des faits historiques, se construisent par l’action humaine et portent donc en eux la marque de la société (les rapports sociaux de la totalité concrète). Le CEMTI réaffirme ainsi la nécessité de prendre en compte ce processus de construction des faits sociaux dans leurs multiples interactions et de les considérer dans le cadre d’une intervention humaine, qu’elle soit consciente ou non.

2) un principe d’interdisciplinarité :

le CEMTI encourage les dispositions à l’interdisciplinarité. Cette dernière permet en effet d’éviter l’hyperspécialisation, de lutter contre la dispersion des sciences sociales et humaines en disciplines académiques mutuellement indifférentes, ainsi que de comprendre des faits sociaux de communication comme des réalités dynamiques, plurielles, contradictoires, dépendantes les unes des autres. La variété des sciences sociales et humaines peut se concevoir comme une base pluridisciplinaire à partir de laquelle doivent être conduites des recherches critiques en capacité de saisir la complexité de la réalité sociale (des faits sociaux de communication). Un dialogue cadré des « logies » qui constituent cet ensemble peut permettre à la critique de saisir dialectiquement le singulier, le particulier et le général. En ce domaine, la critique doit donc faire fond sur une marginalité épistémologique qui ne peut se contenter des savoirs insulaires portés par les conflits de territoire liés à l’institutionnalisation disciplinaire. Elle doit relever le défi de la création d’espaces de connexion, de confrontation et de synthèse des apports des sciences sociales et humaines et se doit de lutter contre la dispersion des sciences sociales en disciplines académiques mutuellement indifférentes, voire hostiles les unes aux autres. L’impératif d’avoir à rendre compte de l’étendue de la réalité concrète ne peut se satisfaire de l’hyperspécialisation, antichambre de l’expertise rejetant la médiation du singulier et de l’universel, et d’analyses saisissant les faits sociaux « en dehors » de l’ordre social qui en détermine pourtant la nature. La nécessité empirico-théorique des sciences sociales et des pensées matérialistes ne peut ainsi être rabattue sur un empirisme sectoriel abstrait faisant l’économie d’une médiation théorique permettant de considérer l’éventuelle portée générale du donné social. Elle ne peut non plus emprunter le chemin des « suprêmes théories » (Wright Mills, 1983) qui via une sursimplification réductrice au tout traite des faits sociaux comme de pures abstractions (i.e. à partir de concepts qui sont des fictions et ne sont étayés sur aucune réalité empirique) et visent l’improbable unité des savoirs multiples et diasporés.

Aussi, les membres du CEMTI sont particulièrement attentifs à établir un cadre d’exercice répondant aux normes de l’esprit scientifique dont la vocation est de produire des connaissances scrupuleusement conquises, construites et constatées. Effectuer un authentique travail de recherche dont le dessein consiste en l’estimation de faits singuliers (rendre intelligible, faire signifier) appelle nécessairement la mise en place de dispositifs globaux d’investigation récusant « à la fois l’empirisme qui réduit l’acte scientifique à un constat et le conventionnalisme qui lui oppose seulement le préalable de la construction » (Bourdieu, 1984 : 24). L’interdisciplinarité oblige à s’appuyer sur un principe empirico-théorique qui va à l’encontre, à la fois de l’empirisme sans concepts et du théoricisme qui fait l’économie de l’administration de la preuve. Il s’agit d’élargir l’idée de faits communicationnels pour considérer, comme des aspects de ce qu’ils sont, à la fois le processus par lequel ils sont devenus ce qu’ils sont et les médiations (médiatiques, culturelles, techniques, etc.) dans lesquelles ils se situent. Sans abandonner le projet d’avoir idéalement à se positionner par rapport à des travaux ayant des identités disciplinaires variées, il s’agit donc de rappeler l’exigence de vigilance épistémologique auquel le CEMTI est tenu et qui lui permettra d’éviter tant les positionnements définitoires confus, que les inventaires qui rabattent le principe de construction des « réalités communicationnelles » sur une liste de thèmes dont on peine à établir la cohérence scientifique.

3) une perspective critique :

le CEMTI a vocation à se démarquer des impératifs d’expertise et fait fond sur des perpsectives critiques, réaffirmant une filiation avec les « souches » originelles de l’université Paris 8. Le CEMTI revendique donc l’approche critique comme nécessité conduisant à mettre au jour, à analyser et à évaluer des ordres sociaux. Ce que cherche à faire la critique c’est, malgré l’apparente pluralité, diversité et singularité des faits sociaux de communication, de reconstituer l’unité des diverses dimensions de la vie sociale en ce qu’elles expriment des formes de domination qui entretiennent par ailleurs quelque relation entre elles. Autrement dit, la critique cherche à exercer des formes de montée en généralité qui se fondent sur un principe de totalisation, c’est-à-dire sur un principe susceptible de reconstituer l’unité derrière le foisonnement et la diversité apparente. Ce qu’elle préconise est d’envisager les faits sociaux de communication comme historiquement ancrés et d’adopter un point de vue permettant de les recontextualiser dans une structure sociale globale et de les considérer comme des éléments participant à des ordres de domination qui font système. Les recherches du CEMTI s’appuyent sur l’exigence d’un rapport qui doit être maintenu entre la théorie et la pratique. Ce que préconise la perspective critique c’est de se poser la question (en théorie) de sa réalisation pratique, de se placer sous condition de la pratique, laquelle devient un critère de jugement de la connaissance et de son utilité critique, sachant que ladite pratique est censée trancher non sur la validité scientifique, mais sur la pertinence politique du savoir. Les problématiques mobilisées ne rejettent évidemment pas l’objectivité, mais elles considèrent que cette dernière est une construction sociale et les concepts sur lesquels elles s’appuient mêlent donc description, analyse et jugement.

La critique se construit ainsi contre l’illusion de l’appréhension immédiate du monde, contre le sens commun et contre la pensée unique. Ce qui se donne par exemple pour l’évidence des inégalités (d’accès, d’usage, etc.) n’est bien évidemment que le produit de formes de domination qui n’ont rien de naturelles, mais sont des faits construits, qui sont la conséquence de rapports de domination dont l’efficacité propre réside pour beaucoup dans la méconnaissance qu’ont les sujets sociaux qui les subissent de ce que sont réellement ces rapports de domination. Les perspectives du CEMTI se présentent donc a minima comme une entreprise de défétichisation des rapports sociaux qui fondent les divisions arbitraires de l’ordre social. Pratiquer les sciences sociales depuis une perspective critique est en ce sens une forme de participation au politique, sachant par ailleurs que lesdites sciences sociales ne sauraient être qu’une des multiples ressources du politique qui ne relève lui-même ni d’une compétence particulière, ni d’une science. Enfin, la critique ouvre naturellement la voie à rendre la réalité et l’ordre social inacceptables et invite très directement à agir sur cette réalité et cet ordre social qui tendent à arraisonner le sujet, le réifier, l’amoindrir… L’approche critique a donc un rôle à jouer en participant au travail collectif d’invention politique et a vocation à étudier les dissymétries sociales, notamment en termes de pouvoir, de domination, d’inégalités, d’illusions, de pathologies et d’injustice sociales. Toutefois faut-il ici préciser qu’il ne s’agit à aucun moment de faire passer les sciences sociales en tant que sciences pour la substance même du politique en tant que stratégie, parodie qui relève de « l’illusion typique du lector, [lequel] peut tenir le commentaire académique pour un acte politique ou la critique des textes pour un fait de résistance, et vivre les révolutions dans l’ordre des mots comme des révolutions radicales dans l’ordre des choses » (Bourdieu, 1997 : 10).

http://www.univ-paris8.fr/cemti/

Date: 19/03/2024
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