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Emergence d’une discipline...

ou le bref rappel de l’évolution des SIC en France

vendredi 17 novembre 2006, par Vincent Rouzé

Cette courte et trop rapide histoire des SIC s’adresse principalement aux personnes non averties, soucieuses de comprendre le chemin parcouru par la discipline Infocom. Elle ne prétend pas à l’exhaustivité et invite le lecteur soucieux de creuser le sujet de se référer aux ouvrages de références cités en bas de page.


Introduction

Comme le rappelle Dominique Wolton dans Penser la communication (1997), la communication s’enracine dans l’histoire de l’homme. Or, c’est avec le 20ème siècle et l’évolution technique qui l’accompagne, qu’elle devient une discipline universitaire. Interdisciplinaire par essence puisque s’appuyant sur au moins dix disciplines différentes (sociologie, anthropologie, économie...), elle connaît un développement inégal. Apparue aux états unis dans les années 30, elle mettra du temps à s’imposer en France. Dans l’hexagone, il faut attendre les années 60 pour qu’elle prenne corps et s’instaure en discipline. Bien que la réalité soit moins homogène, nous proposerons néanmoins de présenter cette histoire en la segmentant en trois périodes. vont se succéder.
Jusque dans les années 60

La première est celle qui va de la fin des années 30 aux années 60. Sur le modèle de certaines recherches américaines et des modèles élaborées par cette dernière (voir les modèles de la com), quelques pôles de recherche se développent. C’est le cas par exemple de l’I.F.P fondé à Paris en 1938 par Stoeztler ou plus tard du centre de recherche créé par Escarpit à Bordeaux (lire l’interview de Escarpit). Fragmentaires et d’obédience disciplinaire diverse, elles portent essentiellement sur la presse, la littérature et sur le langage. Car à cette époque, la communication est avant tout celle du verbe et de la tradition écrite.

1960-1980 : Communication dans la culture

Toutefois, le développement de la culture de masse, ce que Jean Baudrillard (1970) a appelé « la société de consommation », et l’importance sociale et politique prise par les médias suscitent de nouvelles thématiques de recherche. C’est l’époque des travaux de Barthes, Friedmann, Cazeneuve, Chombart de Lauwe. Leurs interêts respectifs, quoique parfois très éloignés, ont néanmoins en commun de s’interesser aux médias et plus globalement à la culture de masse. Le cinéma pour Morin, les mythes quotidiens pour Barthes, le travail pour Friedman, la ville pour Chombart de Lauwe, les loisirs pour Dumazedier...

Autour du CECMAS, (centre de recherche créé à l’Ecole de Hautes Etudes en Sciences Sociales) créé en 1960 sous l’impulsion de Friedman, Morin, Barthes et de la revue Communications (qui parait encore aujourd’hui), les questions actuelles sur la violence à la télévision, la culture d’élite, l’idéologie dominante américaine… sont autant de sujets déjà questionnées à cette époque. Notons toutefois que si la télévision connaît un intérêt croissant (tant par la fascination qu’elle exerce que par les questions de programmation qu’elle soulève), la radio, alors largement implantée, reste largement sous étudiée.

Les événements de 68 changent la donne. Les différents questionnements sur la culture intégrant à la fois les instances de production et les instances de réception sont progressivement abandonnés au profit de recherches critiques (sauf peut-être par quelques chercheurs comme l’historien Michel de Certeau qui tente d’analyser "la culture au plurielle" (1974) puis en 1980 les "arts de faire" du quotidien), centrées notamment sur les modèles de domination posés par l’Ecole de Francfort et sur la hiérarchisation des modèles communicationnels.

La communication devient centrale

Suivant cette dénonciation unilatérale des médias et de la culture de masse, l’idéologie de la communication se met progressivement en place sous deux formes symétriquement opposées. La première, s’appuyant sur le développement technique, promulgue l’apologie de la communication, du "il faut communiquer" en renouvelant ainsi les visions "progressistes" et positivistes des siècles passés [1]. La seconde, à l’inverse, consiste à dénoncer systématiquement la communication et les médias comme étant à la solde d’institutions dominantes (politiques, économiques...). Dès lors, elle n’est que manipulation d’’informations, support de messages aliénants, toujours suspects dictant à l’homme un conditionnement permanent.

Bref, quelle que soit la position adoptée et les critiques qui peuvent être portées à l’une ou l’autre de ces approches, il apparaît nécessaire et urgent de développer des recherches en communication, d’élaborer des projets de recherche cohérents. La communication est donc au cœur de ces problématiques. Il devient donc fondamental de constituer des corpus de recherche et de développer une discipline qui aurait pour objectif premier d’analyser la communication.

C’est dans cette optique et suite à la demande du gouvernement français que Mattelart et Stourdzé (1982) ont été chargés de réaliser un rapport concernant la communication et ses enjeux à la fois économiques et sociaux mais aussi universitaires et disciplinaires. Créé en 1976, la 71ème section émerge en tant que discipline à partir de ces années.

Suivant les orientations présentées par Wolton (op.cit) ou encore J.F Têtu (IEP, Lyon), trois pôles de recherche peuvent ainsi être dégagés :

  • le pôle technique
  • le pôle symbolique
  • le pôle socio-politique, socio-économique

Depuis 1980 : Vers une ouverture ?

Avec les années 80 se mettent donc en place de nouveaux pôles de recherche centrés à la fois sur les médias mais aussi sur la communication en tant que "noyau central" des activités sociales (Breton & Proulx, 1996), politiques et économiques. Accompagnant ces nouveaux objets de recherche, de nouvelles conceptions théoriques et méthodologiques s’élaborent : Parmi ces dernières, on notera les relations entre idéologie de la communication et les processus de mondialisation.

Avec le rapport éponyme, en 1980, du juriste Sean Mac Bride (par ailleurs cofondateur d’Amnesty International), il y a mise en évidence des écarts qui se creusent entre les pays tiers-mondistes et les pays industrialisés. Alors qu’on promulgue une communication planétaire et toujours plus rapide, force est de constater qu’un fossé se creuse entre le Nord et le Sud. Loin des utopies communicationnelles, les inégalités s’accentuent, de nouveaux enjeux politiques, économiques et sociaux se dessinent. Ils sont largement présentés et questionnés dans les travaux de Miege, de Mattelart, de Wolton... .

Parallèlement, (à l’instar des recherches littéraires), le récepteur a de nouveau droit à la parole. Loin des aliénations tant décriées dans la décennie précédente les études de réceptions et les recherches sur les usages (redécouvertes des recherches anglosaxonnes plus anciennes, comme celles des Cultural Studies) montrent combien ce dernier est toujours actif. Dès lors, la communication n’est plus à envisager selon un schéma linéaire (voir modèles de la communication) mais selon des modèles réticulaires et relationnels. Avec ces recherches, on assiste aussi à la redécouverte de la tradition empirique américaine et à l’apport fondamental des cultural studies britanniques. Il y a donc ouverture en ce sens que l’on repense la communication non plus uniquement en terme de domination et de critique mais aussi en terme d’appropriation, de médiation et d’interaction…

Des questions restent posées

Au delà de sa jeunesse, cette discipline demeure tiraillée par des questionnements. De fait, si le caractère interdisciplinaire et la forme paradigmatique (Attalah, 1991) de la discipine ouvrent à de nouvelles ouvertures et à un certain décloisonnement, ils font aussi éclater un certain nombre de faiblesses. Dressons briévement ici les principales forces et faiblesses :

  • Force parce qu’elle envisage l’objet dans sa pluralité et ne l’enferme pas dans un cadre théorique ou disciplinaire préconçu.Ce qui compte finalement, c’est la manière dont on aborde l’objet.
  • Faiblesse parce que la discipline est jeune, a du mal à se légitimer et trouver sa place face à d’autres disciplines. La sociologie en particulier... A celà plusieurs facteurs d’explication :
  • les SIC ont recours de manière récurrente aux théories et concepts émanents d’autres disciplines. L’épistémologie de la discipline le montre. (Voir Mattelart & Mattelart, 1996)
  • elles peinent à préciser ou non (et c’est l’enjeu de nombreux débats) des objets de recherche spécifiques.

conclusion

Au terme de ce parcours synthétique, il apparait que les SIC se forgent peu à peu une identité tout en assumant plus ou moins bien leur relative jeunesse. Car c’est dans le temps que se construit une discipline et que se fonde, par effet de strates, son épistémologie. Ainsi, il me semble que pour assumer son originalité et sa nécessaire présence dans la recherche actuelle, elle doit cultiver cette interdisciplinarité et moins se poser la question des objets de recherche que de multiplier les recherches sur ces objets...

© Vincent Rouzé (2004)>

Références bibliographiques

  • ATTALAH, P. « Qu’est-ce que la théorie ? », In : Théories de la communication. Sens, sujets, savoirs. Presses de l’Université du Québec/Télé-Université, Québec, 1991, pp. 7-22.
  • BALLE Francis, Médias et sociétés, Ed. Montchréstien, 6ème édition, Paris, 1992
  • BAUDRILLARD Jean, La société de consommation, Denoël, Paris, 1970
  • MATTELART, A. ET STOURDZE, Y., Technologie, culture et communication. Rapport au ministre de la Recherche et de la Technologie, La Documentation française, Paris, 1982
  • MATTELART Armand, L’invention de la communication, Éditions La Découverte, Paris, 1994
  • PROULX Serge, BRETON Philippe, L’explosion de la communication, La Découverte, Paris, 1996
  • QUÉRÉ Louis, Les miroirs équivoques. Aux origines de la communication moderne, aubier, Paris, 1982
  • WOLTON Dominique, Penser la communication, Flammarion, Paris, 1997>

Lire aussi

  • la lettre d’INFORCOM (hors série),N°45, publiée par la SFSIC en 1994.
  • BALLE Francis, Médias et sociétés, Ed. Montchréstien, 6ème édition, Paris, 1992
  • MATTELART Armand et Michèle, Histoire des théories de la communication, Ed. la découverte, Paris, 1995
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[1Lire notamment les leçons de philosophie positivistes d’ A. Comte

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